La crise sanitaire rendant provisoirement impossible nos causeries à la pizzeria du stand de Vernand, je vous livre quelques réflexions suscitées par la lecture du dernier livre de l’essayiste français Christophe Guilluy (Le temps des gens ordinaires, Flammarion 2020); mes réflexions sont évidemment liées à la « culture du tir en Suisse ».

Sur ce point précisément, dans sa Newsletter CDF SITREP #01 NOV2020, le président de la SMTP déclarait à propos de la création d’un stand de tir privé qui appartiendrait à notre association : « sans stand adapté et abordable pour la pratique du tir dynamique, nous ne pouvons pas maintenir nos savoir-faire, ni les transmettre, ni protéger la culture du tir en Suisse ». S’il a certainement raison sur la question du savoir-faire, je pense qu’en revanche son constat ne vaut pas pour la dimension culturelle du tir.

C’est là qu’intervient le livre de Guilluy. En effet, il montre comment la culture populaire (la solidarité autour d’une équipe de foot, la bière au comptoir, la fierté pour son coin de pays, etc.) est non seulement sortie du ghetto, mais en voie d’autonomisation depuis une décennie environ. L’auteur rappelle combien auparavant cette culture était méprisée par les élites et assimilée à des comportements jugés politiquement non-correct (!) tels que l’alcoolisme, le racisme primaire, la xénophobie et le manque d’éducation. Or l’auteur indique combien les grands événements (Brexit, Gilets Jaunes, élection de Donald Trump en 2016) ont ramené cette culture sur le devant de la scène alors que le discours dominant annonçait sa fin prochaine. Et il ajoute dans le même sens : « La visibilité des gens ordinaires s’accentua au printemps dernier à l’occasion du confinement de la population …. En quelques jours, ils ont saturé l’espace médiatique en troquant leur statut de déplorables pour celui de héros du quotidien. Aides-soignantes et infirmières, éboueurs, chauffeurs routiers, livreurs, caissières, magasiniers ….. furent couverts d’applaudissements ». Guilluy pense qu’il s’agit là d’un mouvement de fond : « Les gens ordinaires ne s’excusent plus d’être ce qu’ils sont. Sans représentation politique ni sociale, ils participent à un mouvement de renaissance qui bouscule les notions de puissance et de pouvoir. Cette dynamique essentielle est en train d’inverser le sens de l’Histoire ».

A partir de là, le parallélisme que l’on peut établir avec le tir me semble assez évident, avec une (importante) différence toutefois. En Suisse, si la culture du tir fait bel et bien partie du patrimoine populaire, elle peine encore à sortir du ghetto. Certes, la campagne en amont de la votation du 19 mai 2019 a permis de casser quelques stéréotypes qui collaient à la peau des tireurs (machos tendance alcoolo, grossiers et violents au sein leur milieu familial). La pratique libérale des bureaux cantonaux dans la délivrance des permis exceptionnels d’armes tend à confirmer ce changement de perception. Il semblerait que le tireur ne soit plus considéré comme un criminel en puissance (pour le moment ….).

Mais, depuis mai 2019, c’est le calme plat : silence radio ! Les milliers d’heures d’entraînement diffusées à la Montagne de Lussy, les centaines de participants, la qualité et la rigueur de l’instruction n’ont aucun impact en termes d’image et de représentation : d’où ma remarque liminaire sur le constat du président de la SMTP. Malgré leur nombre, la visibilité positive des tireurs restent nulle.

Le tir fait pourtant partie de la culture populaire dans notre pays ! Si l’on suit l’analyse de Guilluy, il y a une fenêtre d’opportunité qu’il importe de saisir. Oui, mais comment ?

La démarche pourrait s’appuyer sur le leitmotiv, « s’entraîner au tir avec rigueur c’est bien, le faire savoir c’est mieux ! ». C’est ici que l’épée doit céder sa place à la plume. Guilluy en parle longuement dans son livre; derrière le processus de sortie du ghetto et d’autonomisation, il y a toute une littérature et une filmographie (Ken Loach notamment) qui présentent les classes populaires et leur culture autrement qu’à travers les clichés évoqués plus haut. En d’autres termes, et de manière un peu iconoclaste (le président me pardonnera), j’ai envie de dire : « plutôt que de mobiliser notre temps et nos énergies dans la création d’un stand privé, faisons un film ou des clips sur youtube ».

La reconnaissance précède la connaissance. Ceci signifie que lorsque nous serons parvenu à vraiment sortir du ghetto (la reconnaissance), alors le reste de la société s’intéressera à nous (la connaissance). Travaillons notre image et, pour paraphraser les Evangiles, « le reste nous sera donné par surcroît ». A cet égard, j’ai parlé plus haut d’une fenêtre d’opportunité : celle-ci pourrait se concrétiser plus vite que prévu avec (malheureusement) le développement, en Suisse également, des agressions djihadistes à l’arme blanche et la réponse de certains politiciens appelant à diffuser le port d’armes auprès des citoyennes et des citoyens. Dans ces conditions, je le répète, si le travail des tireurs n’est pas connu, personne ne s’y intéressera le moment venu – la reconnaissance procède la connaissance, CQFD.

En revanche, si nous créons les conditions favorables pour saisir l’opportunité lorsqu’elle se présentera, la question du stand de tir pourrait devenir accessoire … des portes pourraient s’ouvrir.

Dans ce sens, au-delà des clips vidéos, il faut re-prendre et poursuivre le récit initié dans les deux cahiers, Citoyen-soldat 2.0 et Les loups et l’agneau-citoyen. Ces petites publications ne représentent qu’une brève entrée en matière. Elles doivent être complétées par une explication sur le changement d’échelle de la menace. Cette dernière se situant désormais au niveau moléculaire, un(e) homme/femme disposant d’une arme et sachant s’en servir peut faire la différence. Il faut faire prendre conscience que c’est un changement majeur, une mutation, par rapport à la période de la Guerre froide et des Guerres mondiales. Aujourd’hui, l’arme de poing et la carabine sont devenus des game changer au même titre que l’étaient, auparavant, les divisions blindées et l’arme nucléaire. Si au sein de la SMTP on le sait déjà, il importe maintenant de diffuser ce message (simple) en dehors de ce cercle. On peut d’ailleurs le compléter avec l’adage suivant qui, me semble-t-il, correspond assez bien à la culture du tir dans notre pays : « Méfiez-vous de celui qui n’a qu’un seul fusil parce qu’il sait sans doute s’en servir ». Là aussi il y a une dynamique susceptible de renverser le sens de l’Histoire.

En ce moment donc, il importe plus que jamais de nous ouvrir, de chercher le contact avec l’extérieur, d’expliquer, de donner des arguments ….

Bien à vous
Bernard WICHT